Quelle est dans toute l’histoire du Canada la seule province à avoir fait défaut sur le paiement de sa dette, c’est-à-dire à s’être retrouvée dans l’impossibilité de faire face à ses obligations financières? Je vous le donne en mille: L’Alberta.
C’était en 1935 et la Grande Dépression frappait tout particulièrement les provinces des Prairies; affectées de surcroît par de terribles sécheresses, elles se retrouvaient toutes au bord de la faillite. Et qui leur sauva la donne?: le Québec entre autres, parce que moins durement affecté par la crise économique en raison de la structure industrielle de son économie. C’est à partir de cette époque qu’Ottawa entreprit de considérer diverses formules afin d’éviter que se reproduise une telle situation. La Seconde Guerre mondiale interrompit toutefois les travaux sur le sujet et ce ne fut finalement qu’en 1957 que furent effectués les premiers paiements de péréquation aux provinces les moins favorisées, dont l’Alberta.
Plutôt que de mépriser et de dénigrer le Québec, l’Alberta (et la Saskatchewan) devrait peut-être se rappeler que le développement du programme de péréquation fut essentiellement une conséquence, une réponse à sa quasi faillite à l’époque. Elle devrait aussi se rappeler que les revenus de l’exploitation du pétrole le plus sale sur la planète ne dureront peut-être pas éternellement.
Depuis 1982 le principe de la péréquation est enchâssé dans la Constitution canadienne à laquelle ironiquement le Québec n’a pas souscrit. C’est parce que les paiements de péréquation que reçoit tout de même annuellement le Québec constituent probablement le plus puissant rempart des fédéralistes contre l’indépendance du Québec. Les fédéralistes le savent et ils font tout en leur pouvoir pour que les Québécois ne voient qu’une partie du portrait, c’est-à-dire la péréquation, cette partie seulement du portrait qui consacre aux yeux du RoC (Rest of Canada) et aux yeux de nombreux Québécois naïfs, ambivalents ou «d’abord Canadians», leur statut d’assistés sociaux. Voyons les principes selon lesquels fonctionne cette péréquation et levons le voile sur l’autre partie du portrait, la partie cachée du portrait, celle qui en fin de compte fait de la péréquation reçue par le Québec un marché de dupes.
Qu’est-ce que la péréquation? C’est un système de transfert d’impôts qui vise à «donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour les mettre en mesure d’assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparable». Autrement dit, c’est un système de redistribution de la richesse, ce qui est excellent en soi. Comment sont calculés les transferts? Une formule complexe entre les mains du fédéral, qui est révisée à tous les 5 ans, détermine une «capacité fiscale» PAR HABITANT, et non par province, les impôts perçus étant payés par et pour les citoyens, et non par et pour les provinces. Si le Québec se voit recevoir un montant qui paraît important sur lequel focalisent surtout et toujours nos détracteurs, c’est qu’il a une population de plus de 8.3 millions d’HABITANTS.
Dans les faits, 6 provinces non pétrolières reçoivent de la péréquation. De ces 6 provinces le Québec est la province qui, après l’Ontario, reçoit LE MOINS de péréquation PAR HABITANT: $1 207 pour l’année 2016-2017, par rapport à $1 321 pour le Manitoba, $1 807 pour la Nouvelle-Écosse, $2 205 pour le Nouveau-Brunswick et $2 545 pour l’Ile-du-Prince-Édouard, soit plus du double de ce que reçoit le Québec PAR HABITANT. Eh oui! l’Ontario reçoit de la péréquation… Nous y reviendrons.
D’où provient cet argent qui sert aux paiements de péréquation? D’abord, l’argent ne provient pas d’un fonds dédié comme, par exemple, la cagnotte consacrée à l’assurance-emploi et à laquelle ne contribuent que les employés et les employeurs. L’argent provient des revenus généraux du gouvernement du Canada. Cet argent ne tombe pas du ciel. Il provient des impôts perçus par le fédéral. Les économistes s’entendent pour établir que la contribution de chaque province aux revenus généraux du Canada équivaut au pourcentage du PIB (Produit Intérieur Brut) de chaque province par rapport au PIB total du Canada.
Ainsi, pour l’année 2016, le PIB du Québec compte pour 19.4% du PIB canadien ($394.819 milliards sur $2 035.503 milliards). Le montant total de la péréquation versée en 2016-2017 par le Canada étant de $17.880 milliards, on établit donc que le Québec y a contribué à hauteur de $3.469 milliards. L’Alberta, malgré son pétrole, possède un PIB inférieur à celui du Québec, à hauteur de 15.5%. Même en y ajoutant le PIB de la Saskatchewan (3.7%), la contribution à la cagnotte de la péréquation au Canada de ces 2 provinces pétrolières réunies est encore inférieure à celle du Québec.
Qui reçoit de la péréquation? Les provinces qui de nos jours sont plus favorisées, c’est-à-dire les 3 provinces pétrolières (AL, SAS et TN) et la Colombie-Britannique ne reçoivent pas de péréquation. C’est le principe même de la redistribution de la richesse. À elles quatre elles contribuent à hauteur de 33.7% ($6.017 milliards) à la cagnotte de la péréquation, ce qui est moins que l’Ontario à elle seule (39.1%), qui pourtant ne se plaint pas… On verra pourquoi. Le Québec a reçu $10.030 milliards en péréquation en 2016-2017, soit 56.1% de la cagnotte pour une population composant 23% de la population canadienne, et ce en raison d’une formule que le Québec n’a pas établie, qui arrive quand même à le discriminer, et qui permet à bon nombre de le railler. Quand on pense que la Saskatchewan qui a contribué à hauteur de $0.662 milliard (3.7%) à la péréquation crie sur tous les toits que le Québec ne survit que grâce à elle! Dans ses jérémiades on n’entend pas non plus l’Alberta critiquer les 4 provinces (IPÉ, NÉ, NB, MA) qui ont reçu 31% de la péréquation ($5.546 milliards) pour une population constituant moins de 9% de la population canadienne! Entre Anglos on est solidaires…
Mais il n’y a pas que la péréquation. Ce que l’on appelle le «soutien fédéral» comprend aussi des «transferts canadiens» aux provinces en matière de santé et de programmes sociaux, deux champs de compétences conjointes où le fédéral ne se gêne toutefois pas pour aller jusqu’à faire du chantage envers le Québec en imposant ses directives inconditionnelles. On en entend moins parler parce que les détracteurs du Québec le gardent habituellement comme second argument, quand celui de la péréquation n’a pas été suffisant dans leur démonstration de notre «BSsitude».
Le soutien fédéral est aussi plus délicat à présenter parce qu’il est pour le fédéral une arme à double tranchant. Il constitue un début de preuve de l’ingérence du riche fédéral dans des champs qui ne sont pas de sa compétence exclusive, un début de preuve aussi de l’énorme gaspillage sous-jacent aux chevauchements des programmes québécois par les programmes du fédéralisme centralisateur canadien, et enfin il met en lumière l’indécence de la situation ontarienne.
En vertu du soutien fédéral donc, ce ne sont plus $10.030 milliards que le Québec reçoit, mais bien $21.372 milliards incluant la péréquation pour l’année 2016-2017. Et surprise! la très riche Ontario en reçoit autant que le Québec, en fait $0.025 milliard de moins: $21.347 milliards dont $2.374 milliards de péréquation, et pourtant personne ne lui tape jamais dessus. Spécifions que les paiements de transferts ne sont pas basés sur le PIB mais plutôt sur le poids démographique de chaque province. Le soutien fédéral aux territoires (YU, TNO, NU) utilise aussi d’autres bases de calcul qui sont propres aux territoires. Quoiqu’il en soit, le résultat apparent permet à nos détracteurs de pouvoir crier haut et fort que le Québec est encore cette province de pauvres qui reçoit le plus de soutien fédéral: $21.372 milliards pour un soutien fédéral total aux provinces et territoires de $70.943 milliards, soit 30.1% du soutien fédéral total. C’est déjà moins pire que le 56.1% de la péréquation totale!… Nous approchons de la vérité.
Dans les faits, PAR HABITANT, le Québec n’est pas au 1er rang pour l’importance du soutien fédéral reçu, mais bien au 8e rang des 13 provinces et territoires canadiens, juste avant l’Ontario, et ce malgré qu’il soit la 2e plus importante province à envoyer de l’argent à Ottawa. Imaginez! Le Québec reçoit $ 2 571 de soutien fédéral par habitant, alors que dans les territoires, YU, TNO et NU, on reçoit respectivement $ 24 909, $ 26 686 et $ 41 460 par habitant. Chaque citoyen québécois fait donc amplement sa part dans la redistribution de la richesse du Québec.
L’autre partie du portrait: Les états financiers consolidés pour 2016-2017 établissent les revenus totaux du gouvernement du Canada à $293.495 milliards. En vertu de la formule du PIB, on peut dire que le Québec a contribué à hauteur de $56.938 milliards (19.4%) aux revenus du fédéral. En d’autres mots, les Québécois ont envoyé $57 milliards au fédéral pour l’année 2016-2017. Quand on sait que les revenus autonomes du gouvernement du Québec (c’est-à-dire les revenus excluant les transferts provenant du fédéral) pour le même exercice financier sont de $82.705 milliards, on peut raisonnablement estimer qu’un Québec indépendant pourrait jouir de revenus totaux annuels tournant autour de $140 milliards, ce qui n’est pas très loin de la moitié des recettes fiscales totales dont jouit actuellement le riche et dépensier gouvernement du Canada.
Revenons à la situation présente. Le Québec envoie $56.938 milliards au Canada qui lui en retourne $21.372 milliards sous forme de soutien fédéral. Mais comment sont retournés au Québec les $35.566 milliards restant, puisque les défenseurs du fédéralisme s’empresseront toujours de vous dire qu’au final le Québec reçoit plus d’argent, de biens et de services d’Ottawa que ce qu’il envoie d’impôts à Ottawa? Mettez-les au défi de démontrer cette assertion et ils seront bien mal pris. Et c’est là que débute la face nébuleuse, sinon cachée du portrait.
Lorsque le fédéral daigne dévoiler des chiffres, ils sont souvent difficilement utilisables. Il faut reconnaître que ça peut être compliqué, mais toujours utile pour faire dire ce que l’on veut aux chiffres: «[…] bien des entreprises étant présentes dans plus d’une province, il est difficile de répartir par province tant les revenus provenant de ces entreprises que les dépenses fédérales qui leur sont octroyées; les retombées d’une dépense dans une province peuvent avoir autant d’impact dans les autres (achat d’uniformes à une entreprise du Québec pour des militaires stationnés au Manitoba, le tout acheté par l’administration dont les bureaux sont en Ontario); les services d’un établissement pénitencier dans une province peuvent être utiles à toutes les provinces (les personnes y étant emprisonnées provenant de tout le Canada); même si tous les Canadiens “bénéficient” des services de la Défense nationale et qu’une part importante de ses dépenses sont effectuées à l’étranger, celles-ci sont réparties en fonction des provinces où sont situés le capital humain et physique de ce ministère; […], etc., etc., etc..» La face cachée du portrait comporte heureusement des éléments un peu plus facilement vérifiables.
Voici ce que publiait le 5 janvier 2011 le très sérieux et crédible site internet jeanneemard.wordpress.com sous le titre «Le Québec reçoit-il plus qu’il ne donne au fédéral?»: «[…] le pourcentage des dépenses en achats de Biens et services, qui permettent directement de créer des emplois, a toujours été nettement inférieur au poids démographique du Québec. Encore pire, sauf en 2008, le pourcentage des dépenses en Transferts aux entreprises a été auparavant fortement inférieur (de 7 à 10 points de pourcentage) au poids démographique du Québec. Cela correspond bien à un des principaux reproches des politiciens québécois, indépendantistes comme fédéralistes, à l’endroit des dépenses fédérales, soit qu’elles favorisent davantage les entreprises des autres provinces que celles du Québec. On l’a vu dans le dernier plan de relance fédéral, où l’industrie automobile ontarienne a reçu beaucoup plus [13 milliards] que les industries québécoises en difficulté [70 millions pour l’industrie de la forêt].» Et la récurrence de ce sous-financement dans des domaines qui ont le potentiel de créer des emplois à long terme au Québec est régulière.
Que dire des $112 milliards à terme que coûteront les navires construits dans les chantiers maritimes d’Halifax et de Vancouver, pour lesquels le Québec paiera près de 22$ milliards, alors qu’il recevra moins de 1% de la valeur des contrats navals octroyés par le Canada, et ce malgré que la Davie à Lévis soit le chantier naval le plus performant et possédant la plus importante cale sèche au Canada – nommé chantier naval nord-américain de l’année aux LLoyd’s List North American Maritime Awards 2015?
Que dire du financement à hauteur de 20% auquel le Québec se voit forcé de participer dans l’aide de $2.9 milliards et les garanties de prêts de $6.4 milliards avancées par le fédéral au faramineux projet hydroélectrique de Muskrat Falls à Terre-Neuve, projet expressément mis en oeuvre pour concurrencer le Québec sur les marchés d’exportation, et alors que le fédéral n’a jamais mis un seul sou dans l’édification d’Hydro-Québec? Pensez-vous que Toronto applaudirait si Ottawa décidait d’investir pour développer au Québec le secteur automobile concentré en Ontario? Poser la question c’est y répondre. Pourtant, avant même Muskrat Falls, c’est ce que le fédéral avait déjà fait en catimini pour l’aéroport Pearson de Toronto au détriment de l’aéroport de Mirabel aujourd’hui fermé aux passagers.
Et on ne parle pas de la récente absence de volonté du fédéral de secourir Bombardier, ou de ses tentatives répétées et encore récentes de démonter l’Autorité des marchés financiers du Québec, ou de sa encore récente décision d’installer à Toronto plutôt qu’à Montréal le siège social de sa Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), qui est d’inspiration montréalaise et dont le fonds d’opération sera de $35 milliards. Et on ne parlera pas des conséquences néfastes de l’imposition de la ligne Borden en 1957 sur l’industrie pétrochimique montréalaise, ou du démantèlement sans compensation du port de Montréal à la suite de l’ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent en 1959 (sa conversion aux conteneurs ne viendra que beaucoup plus tard), ou des milliards accordés à Énergie atomique du Canada en Ontario (17 réacteurs nucléaires en fonction dont 16 en Ontario), ni des milliards accordés à l’industrie pétrolière canadienne principalement localisée en Alberta. Et quand le Québec a des difficultés avec son industrie forestière, on rechigne à sortir quelques dizaines de millions!
Bien sûr, on ne soulève pas ces points quand on s’applique à nous mépriser avec la péréquation. La face cachée du portrait comporte aussi, et paradoxalement, des éléments pourtant d’une évidence déconcertante. C’est un peu comme ces corps flottants dans les yeux que le cerveau finit par ignorer malgré qu’ils soient toujours présents.
Par quel processus mental les Québécois finissent-ils par ignorer les énormes gaspillages dans lesquels le confine le «fédéralisme» canadien. Pensons seulement aux 10 000 fonctionnaires fédéraux qui travaillent au ministère canadien de la santé sans donner aucun soin. 2 ministères de la santé, 2 ministères de l’environnement, 2 ministères de la justice, 2 ministères de l’agriculture, 2 ministères de la citoyenneté, 2 ministères de l’immigration, 2 ministères des finances, 2 ministères de l’industrie, 2 ministères des ressources naturelles, 2 ministères de la sécurité publique, 2 ministères des transports, 2 conseils du trésor, 2 ministères du revenu. Tous des postes pour lesquels les Québécois contribuent déjà à hauteur de 100% au Québec auxquels ils doivent ajouter 20% pour le Canada. Seulement en raison des 2 agences chargées de l’administration fiscale, Revenu Québec et l’Agence du Revenu du Canada, il a été établi que leur dédoublement coûte annuellement au Québec $400 à $500 millions, soit la moitié des coûts d’opération de Revenu Québec. Et ces chiffres ne concernent qu’un poste.
Une étude de l’ÉNAP (École Nationale d’Administration Publique) portant sur les chevauchements des programmes fédéraux et québécois en dit long sur le “fédéralisme” canadien. Des 36 secteurs identifiés, seulement 2 ne faisaient pas l’objet de chevauchement à un degré ou un autre; 2 secteurs de compétence exclusive du fédéral: les Postes et la Défense et anciens combattants. En fait, des 221 programmes fédéraux et 244 programmes québécois étudiés, 197 se chevauchaient. 197 programmes fédéraux, précisons-le, non pas qui complétaient, mais qui chevauchaient des programmes québécois à divers degrés, même dans des secteurs de compétence exclusive du Québec comme la faune, l’éducation, la gestion du territoire, la gestion de l’eau, les forêts et les affaires municipales.
Les ingérences d’Ottawa résultent plus souvent qu’autrement en un gâchis financier pour le Québec dans sa volonté d’établir ses propres cibles pour ses propres intérêts stratégiques. «[…] je recense les économies que les Québécois pourraient faire en se débarrassant du gouvernement fédéral. Il y en a pour 7,5 milliards de dollars. Certes, le fédéral nous verse de l’argent, mais même en assumant les pertes de ces transferts, un Québec souverain délesté de la bureaucratie fédérale sauverait annuellement 2 milliards de dollars.» C’était en 2012, «Un gouvernement de trop» par Stéphane Gobeil chez vlb éditeur.
L’Ontario, l’éléphant dans la pièce et l’envers du portrait: L’Ontario possède 2 capitales: Queen’s Park que l’on connaît mieux sous le nom de Toronto, et Ottawa. Ottawa est aussi une capitale à triple titre. Malgré qu’elle refuse le bilinguisme, elle est d’abord la capitale fédérale du Canada; puis, pour les habitants du RoC, les Canadians, elle est leur capitale nationale, ce qui permet de refuser le bilinguisme. Enfin, elle est une succursale de Queen’s Park, la réelle capitale du Canada. Au sud de nos frontières, Washington, D.C. est la capitale fédérale des États-Unis depuis 1791. Washington est une ville totalement indépendante, située dans le district de Columbia, entre le Maryland et la Virginie, un territoire qui ne dépend, ni ne se rapporte à aucun état fédéré des États-Unis. Dans sa sagesse et par sa volonté d’être équitable et de ne favoriser aucun des états de l’Union au détriment des autres, le Congrès américain décidait en 1790 que sa capitale fédérale serait indépendante et située sur un territoire n’appartenant à aucun des états qu’elle fédérait.
Pour la Province of Canada en 1857, puis à nouveau pour le Dominion of Canada en 1867, c’est Ottawa qui est choisie comme capitale. Le choix initial de la reine Victoria, reconduit par nos sages pères de la «Confédération», établit finalement la capitale fédérale du Canada en Ontario. C’est tout à fait conforme au fairplay britannique qui anime depuis toujours ce beau grand pays. Et c’est tout à fait contraire aux règles élémentaires de la géostratégie qui prescrivent habituellement l’installation de la capitale d’un pays sur un site qui la met à l’abris des assauts d’un potentiel pays ennemi, surtout s’il est à proximité. Or, à 2 reprises lors du précédent siècle les colonies britanniques avaient été en guerre contre les États-Unis. Par esprit d’équité, si on doit établir la capitale sur la rivière des Outaouais, à la frontière du Québec et de l’Ontario, on le fera sur un territoire neutre. De toute façon on le fera sur la rive nord de l’Outaouais, de manière à faire de la rivière un rempart contre une possible invasion. Eh bien non! La rive nord est située au Québec. On établit donc la capitale sur la rive sud de l’Outaouais… En Ontario!
Le statut de capitale d’un pays rapporte énormément de retombées pour une ville et, si la ville n’est pas indépendante, pour la province dont la ville n’est finalement qu’une administration déléguée. Sur le seul plan économique, quand on pense aux taxes et impôts perçus de toutes sortes et à la présence de centaines de parlementaires et lobbyistes, de plus de 100 000 fonctionnaires et leurs familles, de près de 200 ambassades, de milliers de diplomates et leurs familles, sans parler des dépenses du gouvernement en aménagements immobiliers, aéroport international, parlement, musées, etc., les apports liés au statut d’Ottawa capitale du Canada sont gigantesques pour l’Ontario. On s’empressera de nous dire que le fédéral a beaucoup investi à Gatineau au Québec pour compenser. C’est en très petite partie vrai, surtout en réponse à la montée du nationalisme québécois depuis les années 70, mais les investissements faits à Gatineau ne viendront jamais à la cheville de ce qui a été fait et se fait toujours pour Ottawa: «[…] des retombées économiques de plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année.» Pour corriger ce dysfonctionnement et cette inéquité séculaires Trudeau père a d’ailleurs un temps pensé à faire d’Ottawa une ville indépendante à l’image de Washington, D.C.. Mais l’idée ne tint pas longtemps. À l’époque il avait déjà l’Ouest sur le dos, il n’allait pas se mettre aussi à dos l’Ontario. Et le Québec qui semblait bien s’accommoder moyennant quelques dépenses à Gatineau. Quel aveuglement! Depuis 160 ans, sur la seule question de la capitale du Canada en territoire ontarien, il faut imaginer les centaines de milliards en retombées économiques dont le Québec a été privé et dont il continue d’être privé.
Quand on pense que même nos élites sont honteuses face à la péréquation que nous recevons! Il faut plutôt être d’avis que nous devons aller en chercher encore plus, tant que nous ne serons pas indépendants.
Une quantité effarante de grandes décisions économiques ont depuis près de 2 siècles littéralement drainé l’argent du Québec vers l’Ontario. «Les résultats sont extraordinaires pour l’Ontario. Pour illustrer la portée des choix économiques du gouvernement du Canada, rien de mieux que d’examiner la balance commerciale des services entre chacune des provinces de ce grand pays. C’est proprement stupéfiant, car toutes les provinces font un déficit [-4,7 milliards pour le Québec], sauf l’Ontario, confortablement installée sur un gigantesque surplus commercial [+30,6 milliards].» C’était pour l’année 2009 seulement, «Un gouvernement de trop». Il ne faut pas oublier que l’injustice et l’iniquité frappent essentiellement le Québec, parce qu’il ne faut pas oublier qu’aux yeux du RoC l’Ontario abrite Ottawa, la filiale de Toronto, leur capitale nationale. Il n’existe qu’un autre état au Canada qui possède sa propre capitale nationale, c’est le Québec.
Terminons ce texte en exposant combien les dés ont été pipés pour le Québec, comment les vers sont dans la pomme depuis les tout débuts de cette «Confédération» canadienne: Il faut révéler au grand jour la plus importante forfaiture financière à jamais avoir été infligée au Québec. Pourquoi ramener à la surface un événement qui prend sa source en 1841? Parce que les sommes impliquées à l’époque étaient énormes, parce que les conséquences économiques aujourd’hui sont gigantesques, parce que seul le Québec n’a jamais été compensé alors qu’il est le seul à avoir été floué, et enfin, parce qu’en vertu du droit international il n’y a pas de prescription sur les dettes que se doivent les états entre eux.
En 1839 le gouvernement du Haut-Canada – l’Ontario – approuve le refinancement de la Welland Canal Company qui a des problèmes financiers. Depuis 1824 cette compagnie privée construit les chenaux et les écluses du canal Welland, future clef de voûte de la voie maritime du Saint-Laurent sur les Grands Lacs et du commerce international ontarien. Mais voilà, pour payer le développement de ses infrastructures, l’Ontario s’est fortement endettée auprès de la plus ancienne banque d’affaires d’Angleterre, la Baring Brothers de Londres, et se trouve sur le point de faire défaut de paiement; elle ne peut donc pas avancer les fonds à la Welland Canal Company. Pendant ce temps au Lower Canada – le Québec -, c’est la Répression de 1837-38 que parachèvera l’entrée en vigueur de l’Act of Union le 10 février 1841. Les institutions démocratiques et les droits de la personnes y seront abolis de 1837 à 1841, contrairement à l’Ontario où on a pourtant aussi connu une rébellion importante. Au Québec on assiste à l’avant-première de la Loi sur les mesures de guerre. On y impose l’Act of Union sous occupation militaire. Les «Canayens» vont y goûter: Le Québec avait un surplus financier de $189 306, l’Ontario une dette cumulée de $5 925 780. On a consolidé la dette, c’est-à-dire que le Québec a payé – et paye encore aujourd’hui – pour la dette contractée par l’Ontario. En terme comptable cela s’est traduit par une contribution négative de $6 115 086 de l’Ontario à la nouvelle Province of Canada. Cette consolidation forcée rassura la banque Baring Brothers et, comme par magie, en 1841, dès que l’Act of Union eut force de loi, grâce à la spoliation du Québec, l’Ontario put enfin compléter le financement promis en 1839 à la Welland Canal Company.
La boucle de la spoliation sera bouclée en 1959 avec l’ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent, qui drainera l’économie du Québec vers l’Ontario et sonnera le glas de Montréal métropole économique du Canada, sans aucune compensation, ni même pour le port de Montréal. Pour ajouter l’insulte à l’injure, ce sont des centaines de millions de dollars que le fédéral prélève annuellement en droits de passage et en taxes, alors que Montréal, n’ayant pas suffisamment été désavantagée, doit se battre pour qu’il n’y ait pas de péage sur le nouveau pont Champlain – le plus achalandé au Canada -, dont la cherté d’exécution est essentiellement due à sa structure particulière qui doit permettre le passage de la Voie maritime du Saint-Laurent, des navires, vers l’Ontario, vers Toronto, au détriment du Québec, de Montréal.
Pour revenir à la dette de l’Ontario, il y a eu spoliation parce que le Québec n’a jamais été remboursé par l’Ontario, comme il aurait dû se produire à la dissolution de la Province of Canada, en vertu de la procédure d’arbitrage prévue à l’article 142 du British North America Act, c’est-à-dire de la constitution canadienne de 1867 encore en vigueur aujourd’hui. Toujours est-il qu’après la condamnation par le Québec en 1870 d’un arbitrage illégal où on avait tenté de libérer l’Ontario d’une partie de sa dette, afin de gagner la paix, le gouvernement fédéral décidera en 1872 d’assumer l’ensemble de la dette de l’ancienne Province of Canada et prendra le soin de compenser monétairement la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, puis le Manitoba et la Colombie-Britannique. Le Québec ne recevra ni remboursement, ni compensation.
Il est spolié une 2e fois. Quand on dit qu’advenant son indépendance le Québec devra payer sa part de la dette fédérale, devra-t-il se laisser spolier une 3e fois et même une 4e fois?
Dans un article écrit en 2000 – 5 ans malheureusement après le référendum de 1995 – par Pierre Corbeil, Ph.D. intitulé «La dette fédérale dans une perspective historique», ce dernier établit que la dette de l’Ontario envers le Québec de $6 115 086 en dollars de 1841 équivalait en dollars de 2000 à $122 301 709, ce qui revenait à $162 394 420 en dollars de 2016. De façon conservatrice, si à ces 162 millions on applique les 5% d’intérêts composés depuis 1867 prévus à l’article 112 de l’acte constitutionnel de 1867, le gouvernement fédéral, qui en 1872 a fait sienne la dette de l’Ontario envers le Québec, sans rembourser ni compenser le Québec, ce gouvernement fédéral aurait été redevable envers le Québec en 2016 de plus de 244 MILLIARDS de dollars ($244.887 milliards).
En appliquant des calculs plus élaborés, utilisant des prémisses plus sophistiquées, Pierre Corbeil en vient même à la conclusion que ce pourrait être de 63 BILLIONS de dollars ($63 219.991 milliards) dont le fédéral aurait été redevable envers le Québec en 1995. C’est une prime de départ que le Québec devra exiger lors de son indépendance. En attendant, il faut aller chercher le plus de péréquation possible!
(Un texte de René Ricard, publié sur Facebook en février 2018.)